Je pense qu’en tant qu’enseignant d’Aikido, il arrive à un moment où une sorte de bilan s’installe.
Qu’ai-je fait durant ces années? Ai-je oeuvré pour le bien de l’art? Ai-je été à la hauteur dans différents domaines?
Ai-je contribué à de bonnes relations avec les élèves, entre les élèves et entre les gens? Mon caractère indépendant a-t-il été une bonne chose pour le dojo? Ai-je amené quelque chose aux élèves?
Et surtout, quel est l’élément qui nous donne une fierté du travail accompli?
Lors du stage d’été de Bruxelles avec Léo Tamaki, j’ai revu avec grand plaisir Nathan et quelque chose avait changé. De mon élève, il était devenu élève de Léo, d’un enfant, ll était devenu homme, de pratiquant déjà doué, il était en train de devenir une future référence.
Oui, une fierté m’a envahi à ce moment.
Et une question est venue à mon esprit : Nathan terminerait-t-il le processus Shu Ha Ri?
Shu correspond à l’intégration, c’est une période où l’élève travaille dans une imitation totale de son maître.
J’ai connu Nathan il y a 12 ans de cela, il avait six ans mais, enfant vraiment précoce, raisonnait déjà comme un adolescent et faisait déjà la crise due à cette période de la vie.
On peut voir directement si un élève est doué ou pas, Nathan l’était assurément mais encore ne suffit-il pas de l’être, il faut développer et faire vivre ce don par un travail incessant. Ceci allait être le cas, Nathan participant à tous les cours, tous les stages avec acharnement et enthousiasme, parfois trop et son mauvais caractère de l’époque lui jouait des tours, combien de fois ai-je du le rabrouer ou le faire descendre d’un étage. Mais cela a créé entre nous une complicité et une entente qui durera la vie, c’est certain.
Je lui ai appris le peu que je sais et je pense qu’il est celui qui a le plus assimilé mon modeste bagage technique.
Ha est la période « destructrice ». L’élève travaille dans des directions parfois opposées à celle de son maître et fait le maximum d’expériences possibles afin de s’approprier ce qu’il a reçu dans l’étape précédente.
J’ai toujours permis et encouragé les enfants à participer aux stages organisés dans le dojo avec des professeurs extérieurs. Peu ont saisi cette chance pour des raisons diverses mais pas Nathan qui allait être toujours de la partie.
Participant aux Master Class avec Akuzawa Sensei, Kono Sensei, Allen Pittman et surtout Hino Sensei de qui il allait devenir très proche, sa pratique s’est forgée petit à petit au contact de ces grands du Budo.
Intéressé par la culture du pays du soleil levant, il poursuivra également le chemin créé par les petites initiations japonaises lors des stages enfants en suivant avec le plus grand des sérieux des cours collectifs et privés avec une professeur de renom jusqu’à maîtriser quasi parfaitement la langue aujourd’hui.
Mais c’est surtout en 2008 qu’un déclic eut lieu, il fit la rencontre avec Léo Tamaki et fut, comme la totalité des participants, perturbé par ce professeur et cet enseignement atypique pour nous qui étions habitués à un travail en force, en tensions, en ancrage et en torsions…
Au fil du temps, Léo allait devenir sa référence, Nathan allait le suivre un peu partout, en France, à Chaumont, à Bras et en Espagne à Valencia à un âge où on est plus intéressé par les jeux vidéos.
Il allait également devenir un compagnon d’entraînement des personnes désiseures de développer le Kishinkai par chez nous et devenir un pratiquant d’exception avec la confirmation lors de son passage Shodan de toute beauté, en précision et relâchement en 2014.
Non, Ha ne fut pas « destructeur » dans notre cas mais cela s’est fait en douceur.
Aujourd’hui, Nathan poursuit de brillantes études à Glasgow en Ecosse, il s’entraîne le plus souvent seul, faute d’avoir trouvé un dojo dont la pratique lui convenait.
Nous continuons à correspondre régulièrement et je suis toujours ravi d’avoir de ses nouvelles. Il ne manque jamais de venir me voir lorsqu’il revient en Belgique, qualité rare à notre époque où les relations humaines ne sont plus vraiment ce qu’il y a d’important.
Ha a donc été adouci par ce départ au moment où je n’avais plus rien à lui apprendre.
Ri, est l’expression véritable de l’art que l’élève, devenu maître à son tour, a développé. Il est au-delà de la dualité et ne cherche ni à imiter ni à se différencier. Il est devenu son art et l’art s’exprime spontanément à travers lui.
Ri se passe le plus souvent à un âge avancé, du moins, je pense, dans les anciennes écoles.
Je dis souvent à mes élèves qu’il serait bien qu’ils partent un jour, beaucoup rigolent à ces propos, pourtant c’est la logique saine du Budo de ne pas passer sa vie avec le même enseignant même si on peut continuer à se respecter et à pratiquer ensemble.
Nathan, à l’heure de ces quelques lignes, est en train de franchir un nouveau palier, il est au Japon pour découvrir et pratiquer avec les plus grands maîtres tel Kuroda Sensei, le premier de notre dojo à faire l’expérience.
A son jeune âge, il aura déjà vu et ressenti plus que la majorité d’entre nous.
Ri viendra très vite car que pourra-t-il encore voir à trente ans alors qu’à moins de vingt, il aura déjà quasi tout expérimenté.
Il est promis à un très bel avenir, c’est sûr…
A la fin du stage d’été, Nathan m’a serré contre lui pour me remercier du stage mais aussi pour tout, j’ai bien compris le sens de ces mots, ce fut le plus beau des cadeaux.