Comme chaque année en cours de saison, certains pratiquants nous quittent pour de multiples raisons, parfois parce que l’étude de l’Aïkido est assez lointaine de ce qu’ils pensaient ou par démotivation, il y en a une myriade en fait. Un jour, une élève qui venait de débuter m’a dit qu’elle pensait que notre art ne lui convenait pas car elle éprouvait des difficultés à chuter et n’arrivait pas à « tomber » comme les anciens.
Il faut du temps mais les gens ne sont plus patients de nos jours.
Une autre personne m’a dit avoir arrêté car elle ne trouvait pas sa place dans le Dojo mais quelle est réellement la place de quelqu’un dans ce lieu ???
Le bon fonctionnement d’un groupe, ou d’une société provient du fait que chacun connaît bien le rôle qu’il a à jouer, et la place qu’il doit tenir. Sur un voilier de compétition, il y a celui qui s’occupe de la bôme, celui qui s’occupe du foc, celui qui tient la barre, et le bateau fonctionne bien si chacun tient correctement sa place.
Sur le tatami, les places sont aussi bien définies lors du « Reï » (le salut), les plus anciens ou gradés se placent sur la droite du tapis (joseki) et cela va en ordre décroissant vers la gauche.
Ce placement repris aujourd’hui mais qui parfois se perd aussi était très important jadis car l’enseignant savait de quel côté il pouvait placer sa confiance (vers les anciens qui avaient fait leur preuve), le côté gauche du tatami risquait quand à lui de cacher un assassin qui attaquerait à la moindre occasion.
Cela s’est un peu perdu de nos jours mais lorsque le professeur se tourne vers le Kamiza, il devrait pivoter vers sa droite ainsi il peut toujours pallier à une attaque surprise (heureusement celà n’arrive plus à notre époque, enfin j’espère 🙂 )
Souvent, lorsque je donne cours, je jette un oeil furtif sur le rang devant moi et parfois une petite analyse surgit. Comme par exemple, les personnes qui veulent occuper une « place d’honneur » à tout prix, c’est à dire en tête du joseki et ce « en passant » devant des personnes qui sont peut-être leurs sempais sur la voie. Cela arrive régulièrement et quelques fois avec des personnes qui viennent uniquement en visite dans notre dojo. Je suis certain qu’elles ne le font pas de mauvais escient mais c’est peut-être leur ego qui les guide à cet endroit.
Personnellement, lorsque je vais en visite dans un dojo, je ne me mets jamais dans les places d’honneur, ce même si il m’arrive d’être le plus ancien. Mais si je dis cela c’est que j’ai quand même encore de l’ego, non? 😉
Connaître sa place est également connaître son « niveau », parfois certaines personnes corrigent une technique d’un moins avancé sans trop savoir ce qu’il faut faire et le mouvement s’en trouve complètement faussé. Evidemment, il y a une différence entre corriger et guider…vous pouvez guider mais ne pas tenter de corriger à tout prix sauf si vous êtes certains de l’application. Dan la vie, la notion de place est plus délicate, car c’est une notion dynamique. Je veux dire par là que notre place n’est pas figée et qu’elle varie à chaque instant en fonction des circonstances.
Et un travail important consiste à trouver sa place juste à chaque instant.
Prenons l’exemple d’un concertiste. L’après-midi il écoute les conseils de son maître, le soir il est sur scène et il joue. Le lendemain s’il va écouter le concert d’un de ses amis, il est assis dans l’ombre et écoute. Un autre jour il enseigne au conservatoire, quand il rentre chez lui, il s’occupe de ses enfants, puis passe une soirée avec sa femme. A chacun de ces moments, il a un rôle différent à jouer, une place différente à tenir, et il est dans des situations différentes pour s’exprimer. Il y a des moments pour parler, et d’autres pour se taire ou écouter. Il y en a d’autres pour se mettre en colère et d’autres pour réconforter.
Et cela débouche sur une notion importante, celle de « Zanshin» (la vigilance). Être à chaque instant attentif pour savoir quelle est notre place exacte. En aïkido, le bon placement dans la pratique est celui qui vous permet de ne pas être blessé, de ne pas blesser l’autre, et d’agir de la manière la plus efficace possible. S’il y a une erreur de placement, c’est soit vous soit votre partenaire qui en subiront les conséquences. Et dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas une bonne chose.
Il en est de même dans la vie. Savoir trouver sa place juste permet à chacun de vivre harmonieusement l’instant, sans blesser et sans être blessé, ce qui nous permet d’exprimer de la manière la meilleure toutes nos potentialités et d’aller vers une courtoisie qui se perd de plus en plus….