L'objet d'un entraînement physique systématique dans le Judo n'est pas seulement de développer le corps, mais de rendre un homme ou une femme capable d'exercer un contrôle parfait sur son esprit et sur son corps et de les rendre prêts à faire face à n'importe quelle circonstance, qu'il s'agisse d'un simple accident ou d'une attaque commise par autrui.
Quoique les exercices de Judo soient généralement effectués par deux personnes, à la fois en Kata et en Randori, et dans une salle spécialement préparée à cet effet, cependant ce n'est pas absolument nécessaire. Ils peuvent être pratiqués par un groupe ou par une personne, sur un terrain de jeu ou dans une salle ordinaire. On imagine que la chute dans le Randori est accompagnée de souffrance et quelquefois de danger. Mais une courte explication de la manière dont on vous apprend à tomber, vous permettra de comprendre qu'il n'y a ni souffrance, ni danger.
Je vous parlerai maintenant de l'aspect intellectuel du Judo.
L'entraînement mental en Judo peut être réalisé par la méthode Kata ou la méthode Randori, mais plutôt par la seconde. Comme le Randori est un exercice entre deux personnes qui se servent de toutes les ressources dont elles disposent et qui obéissent aux règles du Judo, les deux partenaires doivent toujours être en état d'alerte et chercher à découvrir les points faibles de l'adversaire en se tenant prêt à attaquer dès que l'occasion le permet. Une telle attitude d'esprit dans la recherche des moyens d'attaque tend à rendre l'élève attentif et franc, prudent et réfléchi dans toutes ses actions. En même temps, il est entraîné à prendre des décisions rapides ou si l'on n'agit pas promptement, on perdra toujours l'occasion soit dans l'attaque, soit dans la défense.
En outre, dans le Randori, chaque partenaire ne peut pas dire ce que son adversaire va faire, de sorte que chacun doit toujours être prêt à parer n'importe quelle attaque brusque, tentée par l'autre. Habitué à cette attitude mentale, l'homme acquiert un haut degré de maîtrise de soi. L'exercice du pouvoir d'attention et d'observation dans la salle d'entraînement développe naturellement ce pouvoir qui est si utile dans la vie quotidienne.
Pour trouver les moyens de battre un adversaire, l'exercice des facultés d'imagination, de raisonnement de sensation et de jugement est indispensable et ces facultés se développent naturellement dans le Randori. En outre, comme l'étude du Randori est l'étude des relations qui existent entre deux adversaires rivaux, on peut tirer de cette étude des centaines de leçons utiles. Je me contenterai, pour le moment, de donner encore quelques exemples : dans le Randori, nous apprenons à l'élève à agir toujours selon le principe fondamental Judo, sans qu'il ait à considérer combien son adversaire peut lui sembler physiquement inférieur ou même s'il peut facilement par la simple force, triompher de l'autre. S'il agit contre ce principe, l'adversaire ne sera pas convaincu de sa défaite, quelle qu'ait été la force brutale qu'on ait employée contre lui. Il est à peine nécessaire d'attirer votre attention sur le fait que le moyen de convaincre votre adversaire dans un argument n'est pas de remporter tel ou tel avantage sur lui en vertu de la puissance du savoir ou de la richesse, mais de le persuader en appliquant des règles invariables de logique. Cet enseignement que la persuasion et non la coercition est efficace – enseignement d'une si grande valeur dans la vie réelle – nous pouvons l'apprendre dans le Randori.
En outre, nous apprenons à notre disciple, quand il a recours à un procédé pour venir à bout de son adversaire, à n'employer juste que la quantité de sa force qui est absolument nécessaire pour l'objet en question et nous le mettons en garde contre l'emploi de trop ou trop peu de force. Il y a grand nombre de cas dans lequel les gens échouent dans leur entreprise, simplement parce qu'ils vont trop loin, ne sachant où s'arrêter et vice-versa.
Pour prendre encore un autre exemple, dans le Randori, nous enseignons à notre disciple, quand il se trouve en face d'un adversaire qui est follement excité, à gagner la victoire non pas en résistant directement à l'adversaire par la force et par la violence mais en l'amusant jusqu'à ce que son énergie même se soit dépensée.
L'utilité de cette attitude dans les transactions quotidiennes est évidente. Comme on le sait, il n'y a pas de raisonnement qui puisse nous être utile quand nous sommes en face d'une personne tellement agitée qu'elle a perdu le contrôle d'elle-même. Tout ce que nous avons à faire en pareil cas est d'attendre jusqu'à ce que sa passion se soit épuisée d'elle-même. Tout cela, nous l'apprenons dans la pratique du Randori. L'application de ses règles à la conduite des affaires quotidiennes est un sujet d'études très intéressant et a du prix comme entraînement intellectuel pour de jeunes esprits.
J'achèverai mon développement sur l'aspect intellectuel du Judo en parlant brièvement des moyens rationnels d'augmenter la connaissance et la puissance intellectuelle. Si nous observons avec soin l'état actuel des choses dans la société, nous constatons partout la manière dont nous dépensons sottement des occasions d'obtenir des connaissances utiles et pourtant est-ce que nous ne négligeons pas de profiter de pareilles occasions ? Faisons-nous toujours les meilleurs choix pour les livres, les revues et les journaux que nous lisons ? Ne constatons-nous pas souvent que l'énergie, qui pourrait avoir été dépensée pour l'acquisition d'une connaissance utile, est souvent employée à l'acquisition d'une connaissance qui n'est pas seulement préjudiciable à nous-même mais aussi à la société.
En dehors de l'acquisition d'une connaissance utile, nous devons chercher à améliorer nos facultés intellectuelles, telle que la mémoire, l'attention, le jugement, le raisonnement, l'imagination, la perception etc… Mais cela, nous ne devons pas le faire au hasard, mais conformément aux lois psychologiques de sorte que les rapports de ces facultés les unes avec les autres se maintiennent en bonne harmonie. C'est seulement en suivant fidèlement le principe de l'efficacité maximum – c'est à dire le Judo – que nous pouvons obtenir ce résultat d'accroître raisonnablement notre savoir et notre puissance intellectuelle.
Je vous parlerai maintenant de l'aspect moral du Judo. Je n'ai pas l'intention de parler de la discipline morale donnée aux élèves dans la salle d'exercices, comme l'observation des règles traditionnelles d'étiquette, le courage, la persévérance, la bienveillance, le respect des autres, l'impartialité et la loyauté qui ont tant d'importance dans les sports athlétiques dans le monde entier.
L'entraînement dans le Judo a une signification morale particulière au Japon, parce que le Judo en même temps que les autres exercices guerriers était pratiqué par nos Samouraïs, qui avaient un code raffiné de l'honneur, dont l'esprit nous a été légué à travers l'enseignement de cet art. A ce sujet, je voudrais vous expliquer comment le principe de l'efficacité maximum nous aide à améliorer la conduite morale. Il arrive qu'un homme soit très excitable et prompt à se mettre en colère pour des raisons insignifiantes. Mais quand il en vient à se rendre compte que le fait "d'être excité" constitue une dépense inutile d'énergie qui ne sert à personne et qui bien souvent fait du mal au sujet, aussi bien qu'aux autres personnes, l'élève de Judo doit éviter une pareille conduite.
Il arrive aussi qu'un individu soit découragé par la suite d'une déception, soit triste, n'ait pas de courage au travail. En pareil cas, le Judo conseille de rechercher quelle est la meilleure ressource que l'on peut trouver dans les circonstances données. Si paradoxal que cela puisse paraître, un individu est, de mon point de vue, dans la même position que celui qui se trouve au zénith du succès. Dans l'autre cas, il n'y a qu'une méthode à suivre : à savoir, faire ce qu'il pense être le mieux à ce moment. C'est ainsi que l'enseignement du Judo, peut-on dire, conduit un homme au fond du découragement à un état d'activité énergique avec de brillantes espérances d'avenir.
On peut raisonner de même pour les personnes qui sont dans un état de mécontentement. Les personnes mécontentes sont souvent dans un état d'esprit morose et blâment les autres gens au lieu de s'occuper de leurs propres affaires.
L'enseignement du Judo fera comprendre à ces personnes qu'une pareille conduite est contraire au principe de l'efficacité maximum et les amènera à se rendre compte qu'en observant fidèlement ce principe, elles reprendront leur bonne humeur. Voilà comment l'enseignement du Judo peut à bien des égards aider à l'amélioration de l'attitude morale.
Finalement je veux ajouter quelques mots concernant l'aspect émotionnel et esthétique du Judo. Nous connaissons tous la sensation agréable que nous donnent les muscles par l'exercice, et nous éprouvons également du plaisir à obtenir de l'habileté dans l'usage de nos muscles et aussi par le sentiment de supériorité à l'égard des autres dans le combat. Mais en dehors de ces plaisirs, il y en a un qui tient à ce fait que l'on prend des attitudes gracieuse, que l'on accomplit des mouvements qui ont de la grâce et que l'on voit les autres faire de même. Un entraînement donné à cet égard joint au plaisir que l'on peut éprouver à observer différents mouvements qui symbolisent des idées variées, voilà ce qui constitue ce que nous appelons le côté émotionnel et esthétique du Judo.
Je crois que vous avez déjà réussi à voir ce qu'est en réalité le Judo en tant qu'il se distingue du Ju-Jutsu des temps féodaux. Si maintenant, je cherche à énoncer d'une façon concise ce que je vous ai expliqué, je le résumerai de la façon suivante : Le Judo est une étude et un entraînement concernant l'esprit et le corps, aussi bien que la direction individuelle et des affaires.
A la suite d'une étude approfondie des différentes méthodes d'attaque et de défense, je suis arrivé à cette conviction que tout cela dépend de l'application d'un principe absolument général qui est le suivant :
"Quelque soit l'objet que l'on a en vue, le meilleur moyen de l'atteindre est d'user de son corps et de son esprit à cette fin qui donne le maximum d'efficacité". Ce même principe appliqué à la culture physique, mentale et morale aussi bien qu'aux manières de vivre et de conduite des affaires constitue l'étude des choses ou l'entraînement dans ces choses.
Une fois qu'on a bien compris l'importance réelle de ce principe, il peut être appliqué à tous les aspects de la vie et de l'activité et nous permettre de mener la vie la plus haute et la plus rationnelle.
Pour comprendre vraiment ce principe, il n'est pas nécessaire de passer par l'entraînement concernant les méthodes d'attaque et de défense, mais comme je suis arrivé à concevoir cette idée par le moyen de l'entraînement dans ces méthodes, j'ai fait un entraînement pour le développement du corps, un moyen d'atteindre le principe.
Le principe de l'efficacité maximum quand on l'applique en vue de donner la clé de la vie sociale ou de la perfectionner aussi bien que quand on l'applique à la coordination de l'esprit et du corps – dans le sens de l'attaque et de la défense – demande en premier lieu l'ordre et l'harmonie parmi les membres et cela ne peut être obtenu que par l'aide mutuelle et par les concessions qui conduisent à un bien-être et à des bénéfices réciproques.
Le but final du Judo est donc d'inculquer à l'homme une attitude de respect pour le principe de l'efficacité maximum, du bien-être, de la prospérité mutuelle et de le conduire à observer ces principes.