Dans la pratique de notre art, nous entendons souvent les termes de centre et centrage.
Notre corps possèdent plusieurs centres :
*le « kami tanden » (de kami : dieu, divinité), que l’on pourrait traduire par le centre sacré, il se trouve à hauteur du plexus solaire et est défini comme le centre des émotions.
*le « naka tanden », se situant à environ 10 cm au dessus-du nombril, reconnu comme le centre des maladies
*le « shimo tanden » que nous connaissons tous sous le vocable « seika tanden », à environ 10 cm sous le nombril est lui dénommé le centre des énergies
A ces trois points principaux, on peut ajouter celui dont on parle peu, le « ming men» situé lui dans le bas du dos (environ au centre de la koshita du hakama en fait), il est directement relié au seika tanden par une ligne traversant le bassin (bien que certains disent qu’il est en fait rélié à l’ombilic). Point d’importance dans la médecine chinoise et en Shiatsu, il est également dénommé « la porte du destin » et le « centre des reins » car placé juste sous la tubérosité de la 14ème vertèbre (2ème lombaire) dans le creux des reins, ceux-ci étant l’organe générateur de notre énergie, de notre vitalité.
Depuis ma rencontre avec Hino Sensei, je considère également le point du sternum (nommé VC17) comme un centre capable de générer une énergie particulière.
A l’instar de ces plusieurs centres, il existe plusieurs « centrages » :
Le centrage physique :
Quand on cherche un symbole pour illustrer le fait d’être centré, on fait appel le plus souvent au symbole de la croix. Néanmoins, partons d’une approche différente qui se réfère à deux triangles.
Si vous considérez celui qui repose sur sa base, il n’a qu’un sommet en haut et ce sommet, est à la verticale de la base. Un tel triangle est en parfait équilibre, on dira qu’il est « centré ». En revanche, le triangle qui repose sur sa pointe a son centre de gravité qui est plus haut, et les deux sommets qui sont en l’air n’ont sous eux que du vide. Ce triangle n’est pas équilibré, on dira qu’il n’est pas centré.
Pendant la réalisation de la technique, tori doit amener uke à se retrouver dans une position de déséquilibre à la fin du mouvement, tout en restant vigilant à rester centré. Que dire d’un mouvement qui conduirait au déséquilibre des deux protagonistes ? Tori doit en particulier faire attention à ne pas se laisser entraîner par le déséquilibre de uke. Et c’est malheureusement trop souvent le spectacle auquel on assiste sur un tatami : des pratiquants qui s’imaginent être efficaces alors qu’ils ont perdu leur équilibre, qu’ils ne sont plus centrés. Si votre corps est penché vers l’avant, votre tête n’est plus à la verticale de votre polygone de sustentation, et bien souvent votre jambe arrière se décolle : vous êtes comme un triangle sur la pointe, vous avez perdu votre centre. Pour rester centré dans le mouvement gardez bien vos épaules à la verticale des hanches, votre centre de gravité sera situé à la verticale de votre polygone de sustentation, vous serez centré.
Il faut bien différencier deux manières d’être centré. Lorsque vous êtes en seiza, immobile, les épaules basses, relâchées, vous êtes centré. Mais vous êtes statique. Il est beaucoup plus difficile de rester centré lorsqu’on est en mouvement, car à chaque instant la situation change, et le risque est permanent de perdre son centre. C’est ce à quoi il faut pourtant parvenir : rester centré dans le mouvement. C’est d’ailleurs un excellent critère pour juger de la qualité du travail fourni par un aïkidoka, indépendamment de l’école à laquelle il appartient et de sa manière de réaliser une technique : réussit-il tout en restant centré à déséquilibrer uke ?
Le centrage mental :
Chercher à être centré physiquement est un objectif important. De même nous devons essayer de nous centrer mentalement. Si nous nous laissons entraîner par l’agitation de notre mental, notre centre de gravité se déplace dans notre tête et nous devenons semblables à un triangle qui repose sur la pointe. Notre mental ne cesse d’osciller entre les deux sommets qui sont en haut du triangle, ce qui nous déséquilibre constamment. Si nous parvenons à maîtriser notre mental, le deux sommets du haut ne font plus qu’un seul, nous retrouvons notre calme et nous reprenons la forme d’un triangle équilibré. De même il nous faut veiller à ne pas être déséquilibré par nos émotions. A ce niveau aussi il nous faut rester centrés. L’intérêt de l’aïkido est de prolonger dans la vie ce que nous expérimentons sur le tatami. Quand sur le tatami vous placez une technique sans être centré, le mouvement n’a aucune chance d’être réalisé correctement, vous devez lutter, tirer, vous débattre pour accoucher d’un mouvement dans la douleur. En revanche, lorsque vous êtes centré vos mouvements se placent spontanément, sans effort, comme par enchantement.
Dans la vie nous avons constamment besoin d’agir, de faire des choix, de prendre des décisions. Si nous agissons sans être centrés mentalement et émotionnellement, nous avons les plus grandes chances de prendre de mauvaises décisions. En revanche, si nous restons vigilants à être bien centrés mentalement, nous serons amenés tout naturellement à faire les bons choix, à prendre les bonnes décisions. Les choses se passeront dans la simplicité, tel un mouvement d’aïkido réalisé avec aisance et naturel. La vie est perpétuel mouvement, donc on peut très bien être centré à un moment et ne plus l’être l’instant d’après. Comme dans un mouvement d’aïkido, le fait de rester centré est une notion dynamique qui requiert une vigilance de chaque instant et nous incite encore une fois à la plus grande humilité. Qui peut prétendre rester constamment centré ? Rester centré sur un tatami est une tâche aisément accessible car un entraînement dure une heure ou deux, mais la vie, elle ne cesse jamais. La tâche est d’autant plus rude…Un seul mauvais choix pouvant effacer cent bons choix faits antérieurement. Donc restons constamment vigilants. Là encore c’est un travail qui ne cessera que lorsque nous pousserons notre dernier souffle.
Le centrage dans le temps :
Être centré dans son corps et dans son esprit sont deux aspects fondamentaux du centrage. Mais il reste un troisième volet sans lequel les deux premiers perdent de leur valeur. C’est d’être centré par rapport au temps. Et ce centrage doit être abordé sous deux aspects.
Le premier est le fameux « ici et maintenant ». Ne se projeter ni dans le futur ni dans le passé pour vivre pleinement le moment présent. Être engagé et concentré totalement sur l’action présente. Ne pas vivre des regrets éternels, qui nous empêchent de voir la réalité ou les opportunités du moment. Ne pas non plus rêver de projets lointains que l’on n’aura jamais le temps ni le courage de réaliser. Vivre dans le passé ou le futur nous ampute de potentialités que nous pourrions engager dans l’instant présent. Donc nous rend moins efficaces.
Le deuxième relève encore de l’ « ici et maintenant », mais dans ce que j’appellerais le « présent proche ». On aborde là un thème que l’on pourrait désigner par l’expression « être dans le temps ». Si l’on se place sur le plan de l’aïkido technique, il y a un « moment » pour placer la technique. Une seconde avant c’est trop tôt, une seconde après c’est trop tard. Quand vous lancez une balle en l’air avant de retomber elle s’arrête pendant une fraction de seconde. Pendant cette fraction de seconde le temps semble s’arrêter. C’est là « le moment ». De même, dans notre vie de tous les jours, il nous faut apprendre à agir en trouvant ce « moment ». Il faut être attentif, être là, et non pas dans ce qui va advenir dans les secondes ou les minutes qui viennent. Être en retard, ne serait-ce que de quelques secondes ou de quelques minutes nous conduit à agir dans la précipitation, ce qui en général n’a pas de bonnes conséquences. Si nous trouvons le moment, notre action est aisée, juste et ne génère en nous ni tension ni stress.
Etre « dans le temps », c’est aussi se donner le temps nécessaire de faire ce que nous faisons. Etre à l’heure dans nos diverses activités et rendez-vous procède également de cette notion de centrage dans le temps, et bien évidemment, du respect des autres.
Au début de ce troisième millénaire, où le temps a une fâcheuse tendance à s’emballer, où nous sommes de plus en plus sollicités de toute part, être centré dans le temps est donc une chose qui est loin d’être acquise, et nous oblige à une constante vigilance.